Par le jeu des différents financements qu’elles appellent auprès des assurés, et des prestations qu’elles leur versent en cas de maladie, qui peuvent être pensés en termes de transferts monétaires, les assurances maladie obligatoires (AMO) et complémentaires (AMC), ont un effet sur la distribution des revenus des ménages. Il est ainsi intéressant de mesurer l’ampleur de cette redistribution à l’œuvre au sein des opérations d’assurance maladie.
L’assurance maladie de base constitue un dispositif obligatoire de prélèvements et de prestations qui affecte les revenus des ménages, et dont en conséquence il est pertinent d’étudier les propriétés redistributives. La question du traitement des cotisations et des prestations d’assurance maladie complémentaire est moins évidente, dans la mesure où l’adhésion à ces dispositifs résulte en partie des décisions volontaires des individus (à l’exception des contrats collectifs à adhésion obligatoire), et que l’AMC peut être considérée comme offrant des prestations contributives (i.e. le niveau des prestations dépend du niveau des contributions). Elle n’a donc en principe pas à être analysée en termes d’impact sur la distribution des revenus. Cependant, eu égard dans un premier temps à la forte diffusion de la couverture complémentaire maladie en France (plus de neuf Français sur dix disposent d’une telle couverture) ; dans un second temps à l’existence de dispositifs favorisant l’accès à une complémentaire santé (CMU-C et ACS, remplacées depuis 2019 par la complémentaire santé solidaire (CSS)) ; dans un troisième temps à l’importance de la part des contrats qui n’opèrent pas de différenciations tarifaires majeures entre les assurés ; on peut considérer que son intervention doit être également prise en considération dans un bilan redistributif de l’assurance maladie prise globalement.
Lorsque l’on analyse, à l’aide du modèle de microsimulation Ines-Omar développé par la Drees (cf. précisions méthodologiques), la distribution des dépenses de santé, on observe que celles-ci sont relativement élevées pour les ménages jusqu’au septième dixième de niveau de vie, quoique faibles pour les 10 % des ménages les plus modestes, (cf. graphique 1, partie droite). En 2019, les 10 % des ménages les plus modestes étaient confrontés en moyenne à une dépense de santé de d’environ 5 110 euros par an par ménage, donnant droit à une prise en charge des régimes obligatoires d’assurance maladie de 4 700 euros. Ces montants s’élèvent, respectivement, à 7 500 et 5 600 euros pour les ménages du deuxième au septième dixième de niveau de vie, à 4 100 et 4 500 euros pour les ménages appartenant aux trois dixièmes supérieurs. Ces disparités tiennent à l’état de santé moins bon des personnes à revenus modestes, et davantage orientées sur des postes de soins mieux pris en charge, notamment les soins hospitaliers, ainsi qu’au plus jeune âge des ménages du 1er dixième de niveau de vie. En revanche, les prestations versées par les assurances maladie complémentaires (complémentaires publiques comprises) sont croissantes en fonction du revenu des assurés, en raison notamment de la qualité croissante de la couverture procurée par les types de contrats dont ils disposent.
Les prélèvements acquittés par les assurés au titre de leurs couvertures de base et complémentaire maladie contribuent aussi à la redistribution des revenus. Les contributions aux régimes d’assurance maladie obligatoires incluent la part des cotisations sociales à la charge des employeurs et des non-salariés (hors la part correspondant au financement des indemnités journalières), et la part de contribution sociale généralisée (CSG), ainsi que celle des taxes indirectes (TVA, accises sur le tabac et l’alcool) affectées au risque maladie. En y ajoutant d’autres sources de financement telles que la taxe sur les salaires ou la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), le champ des contributions individualisables couvre environ 93 % des recettes de la branche maladie en 2022. Ces contributions des assurés sont dans l’ensemble progressives avec le revenu, en raison des règles d’exonération, de la modulation des taux de CSG pour les revenus de remplacement et les revenus du patrimoine, et des allègements de cotisations sociales patronales pour les bas salaires. Néanmoins les taxes indirectes s’avèrent à l’inverse être régressives.
Les versements aux dispositifs de couverture complémentaire maladie, de montants beaucoup plus faibles, augmentent - mais nettement plus faiblement - avec le niveau de vie (cf. graphique 1, partie gauche). Ils sont notamment plus faibles dans le premier décile qui compte une proportion plus importante de bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire gratuite (ex CMU-C), laquelle assure une prise en charge presque complète des soins, mais également de personnes non couvertes par une complémentaire santé.
La contribution de l’assurance maladie à la redistribution des revenus ne se restreint toutefois pas à son effet sur la distribution des revenus disponibles. On peut en effet estimer qu’un système de santé accessible et de qualité permet à des personnes en mauvais état de santé de se soigner et par suite d’améliorer leur productivité et leurs opportunités de participation à l’activité économique. De la sorte, l’assurance maladie réduit aussi les écarts de revenus au stade de leur distribution primaire. Il demeure cependant sur ce point des marges de progression dans l’égalité d’accès aux soins, notamment préventifs
Graphique 1 ● Contributions et prestations d’AMO et d’AMC en moyenne par ménage par décile de niveau de vie en 2019
Montants versés par les ménages | Prestations perçues par les ménages |
Source : DREES, modèle de microsimulation Ines-Omar 2019.
Champ : Ménages vivant en logement ordinaire ; dépenses de santé présentées au remboursement de l’AMO, pour tous les soins de ville et hospitaliers, calées sur les montants de France entière.
Note de lecture : en 2019, les 10 % des ménages les plus modestes dépensent en moyenne annuelle 319 euros pour leur couverture maladie complémentaire (primes hors taxes) et participent au financement de l’assurance maladie obligatoire (AMO) à hauteur de 1 269 euros en moyenne. Leurs dépenses de santé s’élèvent en moyenne à 5 105 euros dont 329 euros leur sont remboursés par leur assurance maladie complémentaire (AMC) et 4 702 euros par l’AMO (y compris au titre de la CMU-C et chèque ACS).
Sources des données :
Ces indicateurs sont construits par la Drees grâce au modèle de microsimulation Ines-Omar 2019, issu du rapprochement de deux outils de microsimulation :
- le modèle Omar (Outil de microsimulation pour l’analyse des restes à charges), développé par la Drees, qui permet de simuler à un niveau individuel les prestations en nature d’assurance maladie obligatoire et complémentaire, et donc les restes à charge, et à un niveau ménage les cotisations d’assurance complémentaire. Omar est lui-même le regroupement de plusieurs sources de données : l’enquête Statistiques sur les ressources et conditions de vie (SRCV) 2017 produite par l’Insee et pseudo-appariée à l’Enquête européenne sur la santé (EHIS) 2014 réalisée par Drees, l’Irdes et l’Insee (pour les moins de 15 ans), l’enquête EHIS 2019 (pour les 15 ans ou plus), l’appariement de l’EHIS avec les données du Système national de données de santé (SNDS), et les informations récoltées dans l’Enquête auprès des organismes complémentaires 2019 sur leurs contrats les plus souscrits (enquête OC) menée par la Drees.
- le modèle Ines, développé par la Drees, l’Insee et la Cnaf, qui permet de simuler, pour chaque ménage, les cotisations d’assurance maladie obligatoire, y compris celles payées par les employeurs. Le principe du modèle de microsimulation Ines consiste à appliquer la législation socio-fiscale à un échantillon représentatif de la population. Le modèle est adossé à l’enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) qui réunit les informations sociodémographiques de l’enquête Emploi, les informations administratives de la Caisse nationale d’allocations familiales et le détail des revenus déclarés à l’administration fiscale pour le calcul de l’impôt sur le revenu. L’échantillon est représentatif de la population vivant en France métropolitaine dans un logement ordinaire (logement non collectif).
Le modèle Omar 2019 est pseudo-apparié avec le modèle Ines 2019 : à chaque individu du modèle Ines en France métropolitaine sont attribuées les données d’un individu d’Omar partageant les mêmes caractéristiques sociales et démographiques. Les données sont ensuite calées sur les dépenses de santé sur le champ de France entière.
Indications complémentaires :
Il convient de préciser que cet outil est pertinent pour l’étude des montants et de la structure des dépenses de santé et de leur financement une année donnée mais ne convient pas pour une analyse précise des évolutions de celles-ci. En effet, l’outil de microsimulation Ines-Omar sur lequel s’appuie l’indicateur a fortement évolué entre les éditions 2012, 2017 et 2019. Par exemple, depuis le millésime 2017 du modèle, les dépenses hospitalières contiennent non plus seulement les dépenses en médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie (MCO), mais également la psychiatrie (PSY), les soins de suite et de réadaptation (SSR) et l’hospitalisation à domicile (HAD). Le lien entre le niveau de vie et les garanties et primes des contrats est également plus fiable depuis 2017, du fait de l’imputation d’un contrat (et donc de ses garanties et primes) en tenant compte des primes déclarées dans l’enquête, ainsi que du type de contrat (individuel ou d’entreprise, contrat spécifique à certaines catégories professionnelles ou non). Enfin, la version de 2019 présente des données de meilleure qualité que la version 2017 concernant les dépenses de santé (appariées pour toutes les personnes de 15 ans ou plus, et non plus imputées), et le repérage des bénéficiaires de la CMU-C et de l’ACS, désormais repérés dans le SNDS, permettant d’éviter des retraitements avec aléa.
Organismes responsables de la production de l’indicateur : DREES