Objectif n°2 : Veiller à l'équité du prélèvement social
La mise en œuvre d’une politique de soutien monétaire aux bas revenus implique de réaliser un arbitrage entre trois objectifs constituant un triangle d’incompatibilité pour les économistes : la générosité du montant des prestations, la maîtrise du coût budgétaire, et les incitations au retour à l’emploi (Bozio, Grenet). Le but de cette fiche est de s’assurer que le système de redistribution n’est pas désincitatif au travail, c’est-à-dire qu’une augmentation de revenu d’activité se traduit effectivement par une augmentation de revenu disponible.
A configuration familiale et nature de revenus données, chaque euro supplémentaire de revenu d’activité correspond presque toujours à une hausse de revenu disponible, mais de moindre ampleur. Ainsi, une augmentation de revenu d’activité implique généralement une diminution du montant de prestations versé et une augmentation des prélèvements, mais moindre que l’augmentation des revenus d’activité elle-même. Certaines prestations voient leur montant diminuer dès le premier euro perçu (RSA ou AAH), d’autres s’ajustent à partir d’un certain niveau de ressources (aides au logement). L’ajustement peut être linéaire ou effectué par paliers (allocations familiales). Seule l’allocation de soutien familial (ASF) ne dépend pas des ressources des parents1. La prime d’activité, dont le barème est construit de façon à compenser en partie la baisse du RSA afin d’assurer un gain financier à la reprise d’emploi, commence par croître avec les revenus d’activité avant de se réduire progressivement.
Jusqu’à un certain niveau de revenu, les prestations sociales garantissent un niveau de vie supérieur à ce qu’il serait s’il ne dépendait que du revenu d’activité. A mesure que le revenu d’activité augmente, le montant des prestations versé diminue et le revenu disponible se rapproche du revenu d’activité : l’évolution du niveau de vie – et donc l’incitation à travailler davantage pour accroître ses revenus – dépend ainsi de la différence entre la hausse des revenus d’activité et la baisse du niveau de prestations reçues. Pour une personne seule locataire, 1 euro supplémentaire de revenu d’activité perçu entre 0 et 3 Smic permet une augmentation moyenne de 66 centimes de revenu disponible. Ce gain à l’emploi dépend fortement du niveau de revenu d’activité initial de l’individu. Les graphiques présentés illustrent les mécanismes à l’œuvre pour une personne seule locataire lorsque ses revenus d’activité augmentent par pas de 0,02 Smic mensuel net (soit environ 28 € par mois2) :
Ainsi, pour une personne seule, le système socio-fiscal permet d’assurer des gains à l’emploi positifs mais d’importance variable entre 0 et 3 Smic. Presque partout, le gain à l’emploi est supérieur à 50 centimes pour chaque euro de revenu supplémentaire, à l’exception de deux zones. Entre 0,3 et 0,5 Smic, lorsque les AL commencent à décroître mais que la personne n’est pas éligible au bonus de la prime d’activité, le gain à l’emploi est faible, de seulement 28 centimes par euros supplémentaire. Dans une moindre mesure, entre 1,1 et 1,4 Smic, le cumul de l’entrée dans l’impôt et de la baisse de la prime d’activité réduisent à 46 centimes l’augmentation du revenu disponible pour chaque euro supplémentaire d’activité. Jusqu’à un niveau de salaire de 1,3 Smic (1 845 € nets mensuels), le système socio fiscal permet de garantir un niveau de vie supérieur à ce qu’apporte le seul revenu d’activité.
Sur certaines plages de revenus, très réduites, l’incitation financière peut varier de façon très importante sous des effets de seuils. En effet, la plupart des prestations sont soumises à des conditions de ressources ou à des seuils de versement, et cessent ainsi d’être versées aux individus ou aux familles dès que les ressources du foyer dépassent – ne serait-ce que de 1 euro – le plafond réglementaire ou le seuil de non-versement. A titre d’exemple, une personne seule gagnant 1 930 € lui permettant de bénéficier de 15 € de prime d’activité par mois, les perd entièrement si ses ressources augmentent d’un euro la faisant passer sous le seuil de versement ; dans ce cas, le niveau de vie de la personne diminue de 14 €. Les pertes peuvent être encore plus importantes pour les prestations non différentielles comme la prestation d’accueil du jeune enfant pour les familles avec de jeunes enfants ou l’allocation de rentrée scolaire.
Cependant, peu de personnes se situent exactement au niveau des seuils de versement, et les augmentations représentent généralement plus qu’un euro mensuel : ces situations ne se rencontrent donc que pour quelques rares niveaux de revenus, et se voient compensées en cas de nouvelles augmentations de revenu d’activité. Même s’il existe pour de nombreuses prestations des mécanismes permettent de lisser la sortie des prestations, les seuils de versements introduisent des discontinuités dans les incitations financières ou même des effets désincitatifs à la reprise ou à la hausse d’activité. Le Graphique 1 permet d’identifier certains effets de seuils auxquels est confrontée une personne seule : la sortie du RSA (point A), le début de l’imposition (point B) et la sortie de la prime d’activité (point C).
Graphique 1 • Gain à l’emploi pour une personne seule, dont les revenus d’activités varient de 0 à 3 Smic, barème de février 2024
Source : cas-types, barèmes février 2024, calculs CNAF.
Gain marginal : Gain de revenu disponible pour 1 euro de revenu d'activité.
Note de lecture : Lorsque le revenu d’activité est équivalent à 0,2 Smic, le revenu disponible d’une personne seule s’élève à 996 € par mois. Il se décompose en 280 € de salaire, 170 € de prime d’activité, 291 € d’aide au logement et 255 € de RSA (axe des ordonnées de gauche). Lorsque le revenu d’activité d’une personne qui a un salaire de 0,2 Smic croît de 1 euro, son revenu disponible augmente de 61 centimes (axe de droite).
Graphique 2 • Gain à l’emploi pour un couple avec 2 enfants âgés de 11 et 12 ans dont les revenus d’activités varient de 0 à 3 Smic, barème de février 2024
Gain marginal : Gain de revenu disponible pour 1 euro de revenu d'activité.
Source : cas-types, barèmes février 2024, calculs CNAF.
Note de lecture : Lorsque le revenu d’activité est équivalent à 0,2 Smic, le revenu disponible d’un couple avec deux enfants de 11 à 12 ans s’élève à 1 804 € par mois. Il se décompose en 280 € de salaire, 170 € de prime d’activité, 469 € d’aide au logement, 673 € de RSA et 212 € des prestations familiales (correspondant aux allocations familiales et à l’ARS mensualisée). Lorsque le revenu d’activité d’une personne qui a un salaire de 0,2 Smic croît de 1 euro, son revenu disponible augmente de 61 centimes (axe de droite).
Pour les couples avec deux enfants de 11 à 12 ans, le gain de revenu disponible à la suite d’une augmentation d’un euro du revenu d’activité est en moyenne de 63 centimes entre 0 et 3 Smic. Les mécanismes à l’œuvre sont les mêmes que ceux décrits pour une personne seule, mais les seuils de déclenchement des différentes situations diffèrent.
Ainsi, pour un couple avec deux enfants, la dégressivité des AL intervient pour des revenus d’environ 0,6 Smic. En deçà, le gain de revenu disponible est donc lié au barème de la prime d’activité uniquement : il est de 61 centimes pour chaque euro supplémentaire pour des revenus d’activité inférieurs à 0,5 Smic (cf. Graphique 2, situation 1), et de 85 centimes lorsque le foyer devient éligible au bonus (cf. Graphique 2, situation 2).
Dans la zone où les AL deviennent dégressives et restent supérieures au forfait logement (entre 0,6 et 1,3 smic), elles diminuent d’environ 29 centimes pour chaque euro supplémentaire de revenu d’activité. Combiné avec les effets de la prime d’activité, le gain à l’emploi s’élève à 56 centimes par euro pour des revenus en deçà d’un smic (le bonus de la prime d’activité est croissant, cf. Graphique 2, situation 3) et à 0,32 centimes entre 1 et 1,3 Smic lorsque le bonus individuel est maximum pour la première personne du couple rémunérée à 1 smic et que la deuxième perçoit des revenus trop faibles pour bénéficier d’un bonus individuel (cf. Graphique 2, situation 4).
Entre 1,3 Smic 2,65 Smic, les effets incitatifs sont à nouveau produits par le seul barème de la prime d’activité : le gain s’élève à 61 centimes pour chaque euros supplémentaires (cf. Graphique 1, situation 5) sauf dans la zone où la seconde personne du foyer ouvre droit à un bonus individuel croissant (revenus du foyer entre 1,5 et 2 Smic, cf. Graphique 2, situation 6) où le gain est de 85 centimes.
A partir d’un niveau de revenus de 2,65 Smic et jusqu’à l’entrée dans l’impôt (à 2,8 Smic), le foyer n’est plus éligible aux prestations sociales, son gain de revenu disponible correspond donc à son augmentation de revenu d’activité (cf. Graphique 1, situation 7). Au-delà, le barème de l’impôt diminue le gain marginal (cf. Graphique 1, situation 8).
Les effets de seuil sont visibles à la sortie du RSA (point A), lorsque la famille n’est plus éligible à l’allocation de rentrée scolaire (point B), à la sortie de la prime d’activité (point C) et au moment de l’entrée dans l’impôt (point D).
Construction de l’indicateur :
Hypothèses pour les cas-types : Les cas types sont réalisés à partir du barème en vigueur en février 2024.
Dans le cas-type relatif à un couple avec deux enfants, il est supposé qu’il y a un seul salarié pour un revenu d’activité allant jusqu’à 100 % du Smic. Au-delà, l’un des conjoints perçoit le Smic à temps plein et l’autre le différentiel de revenu salarial.
En outre, pour l’attribution de l’allocation de rentrée scolaire, c’est le montant intermédiaire de cette prestation correspondant aux enfants de 11 à 12 ans qui est affecté. Les personnes handicapées ne sont pas représentées. Les revenus d’activités sont les seuls revenus perçus. L’aide au logement est calculée pour un loyer plafond en zone 2.
Organisme responsable de la production de l’indicateur : CNAF