Reconnaissance et indemnisation
La comparaison des statistiques européennes d’accidents du travail (AT) est rendue difficile par les différences de seuils de déclaration. En Allemagne, la déclaration d’accident du travail n’est obligatoire pour l’employeur que s’il entraîne un arrêt de travail d’au moins 4 jours. En Belgique et en Espagne, les accidents du travail sont recensés dès lors qu’ils entraînent au moins 1 jour d’arrêt. En France, tous les accidents du travail sont à déclarer, qu’il y ait ou non arrêt de travail. Ainsi, les comparaisons de la situation française sont possibles avec la Belgique et l’Espagne pour les accidents du travail occasionnant une absence d’au moins 1 jour, et avec l’Allemagne pour les accidents du travail occasionnant une absence d’au moins 4 jours (cf. précisions méthodologiques).
Parmi les quatre pays observés, trois connaissent une diminution continue de la fréquence d’accidents du travail sur la période 2012-2022. Seule l’Espagne enregistre une hausse continue de sa sinistralité depuis 2012 (excepté durant la période de pandémie). En 2022, elle se rapproche progressivement de son niveau avant crise sanitaire.
En 2020, la crise sanitaire a entraîné, dans tous les pays, une augmentation du chômage (partiel et total) et du télétravail. Ce bouleversement explique la nette diminution des accidents du travail observé dans l’ensemble des pays. Depuis 2021, à l’exception de l’Espagne, les pays observés enregistrent des niveaux de sinistralité inférieurs à ceux d’avant crise. En 2022, la France, enregistre une fréquence d’accidents du travail entrainant au moins un jour d’arrêt (cf. graphique 1), de 2 729 accidents du travail pour 100 000 équivalents temps plein contre 3 338 pour l’Espagne. La Belgique quant à elle, affiche un taux de 2 256 accidents du travail pour 100 000 ETP.
Si l’on considère uniquement les accidents du travail ayant entraîné au moins 4 jours d’arrêt, la France affiche une proportion d’accidents supérieure à celle de l’Allemagne (en 2022, 2 489 AT pour 100 000 travailleurs en équivalent temps plein contre 2 109). Bien que l’écart entre la France et l’Allemagne ait tendance à se réduire légèrement, on observe sur une longue période une évolution similaire (à la hausse ou à la baisse selon les années) entre ces deux pays.
Cette différence ne permet cependant pas de conclure à une sinistralité moindre en Allemagne, cette dernière étant liée à de nombreux facteurs en particulier les paramètres d’assurance propres à chaque pays. Ainsi, en Allemagne, la déclaration des accidents n’est obligatoire que pour les accidents dont la durée excède 3 jours d’arrêt de travail. Des études ont montré qu’en prenant en compte non seulement les accidents de travail dont la déclaration est obligatoire mais aussi ceux dont la déclaration n’est pas obligatoire (donc avec un arrêt inférieur à 3 jours), l’Allemagne et la France affiche un niveau de sinistralité très proche avec toutefois des différences sectorielles (cf. Indicateurs de sinistralité au travail France Allemagne).
Graphique 1 ● Fréquence des accidents du travail avec arrêt
Au moins 1 jour d'arrêt | Au moins 4 jours d'arrêt |
Source : Eurogip, à partir des données d’assurance des risques professionnels de chaque pays.
Champ : salariés du secteur privé
Note de lecture : En 2022 2 729 AT nécessitant au moins 1 jour d’arrêt étaient déclarés en France pour 100 000 ETP.
Concernant les accidents de trajet, le constat est à l’opposé (cf. graphique 2). La France enregistre en 2022 la plus faible fréquence d’accidents de trajet avec au moins un jour d’arrêt (433 pour 100 000 ETP), contre respectivement 495 accidents de trajet pour l’Espagne et 519 pour la Belgique. Pour les accidents de trajet ayant entraîné un arrêt supérieur à 3 jours, la France enregistre également de meilleurs résultats que l’Allemagne (376 accidents de trajet pour 100 000 travailleurs contre 434 en Allemagne en 2022). Cet indicateur reste sensiblement corrélé aux conditions météorologiques, comme le suggèrent les pics observés en 2013 et 2018 à la suite d’hivers très rigoureux en France et en Allemagne, qui se traduisent par des évolutions similaires dans les deux pays.
Graphique 2 ● Fréquence des accidents du travail pour 100 000 assurés
Source : Eurogip, à partir des données d’assurance des risques professionnels de chaque pays.
Champ : Salariés du secteur privé.
Graphique 3 ● Fréquence des accidents de trajet avec arrêt
Au moins 1 jour d’arrêt | Au moins 4 jours d’arrêt |
Source : Eurogip
Champ: salariés du secteur privé
EUROSTAT, la Direction Générale statistique de la Commission Européenne publie chaque année les données fournies par les Etats membres. Eu égard aux nombreuses différences de paramètres des systèmes d’assurances AT existants en Europe (seuils de déclaration obligatoire des accidents, caractérisation du lien entre le travail et l’accident, cette transmission s’appuie sur une méthodologie spécifique afin de rendre les pays plus ou moins comparables. Ainsi, seuls les accidents reconnus de plus de trois jours d’arrêts doivent lui être transmis, à l’exclusion des accidents de trajet, des actes volontaires, des décès dont le lien avec le travail n’est pas établi (malaise cardiaque, AVC…).
Malgré l’existence de ce cadre, de nombreuses spécificités viennent perturber la comparabilité de données, soit parce que des pays ne respectent pas cette méthodologie, soit en raison de systèmes de comptage propre à chaque pays. Ainsi, par exemple, seuls seront comptabilisés comme accidents du travail mortels, les décès intervenus le jour de l’accident au Pays-Bas, dans les 30 jours suivant l’accident en Allemagne, sans limitation de temps en France. De même des écarts de méthode sur la population de référence (ETP, individus) viennent fausser les ratios et taux de fréquences entre pays.
Surtout, au-delà de ce qui est reconnus et transmis à EUROSTAT, un important phénomène de sous-déclaration des sinistres professionnels existe dans certains pays (en particulier à l’Est), comme le souligne lui-même l’organe statistique européen. Ceci conduit lesdits pays à afficher des taux de sinistralité très faibles au niveau européen, tandis que les pays ayant les systèmes d’assurance accidents du travail les plus matures, des prestations de haut niveau sont ceux ayant des taux d’incidence les plus élevés. Par exemple, en 2019 les taux d’incidence des accidents du travail non mortels étaient compris entre 62 et 3 425 accidents pour 100 000 travailleurs.
EUROGIP a réalisé une étude empirique sur ce phénomène qui confirme des niveaux de déclaration très hétérogènes selon les pays européens (de moins de 10 % à près de 100 %). Il s’est appuyé sur deux méthodes développées dans son étude de 2017 : celle des “ratios” qui repose sur l’estimation d’un nombre théorique d’AT non mortels à partir du nombre d’AT mortels, ce dernier étant supposé stable en moyenne annuelle et peu sujet à la sous-déclaration ; celle des “enquêtes” basée sur l’estimation des taux d’incidence ressentis par les personnes interrogées à l’occasion de l’Enquête sur les forces de travail de l’UE (EFT-UE) de 2020.
La carte ci-dessous permet de visualiser les niveaux de déclaration résultant de ces méthodes d’analyse.
Carte 1 ● Niveaux de déclaration estimés des accidents du travail en Europe en 2019-2020
Source : EUROGIP, estimations actualisées du phénomène de sous-déclaration des accidents du travail en Europe
Note de lecture : Entre 2019 et 2020, le niveau de déclaration des accidents du travail, en France, est estimé entre 90 et 100 %.
Source des données
France : Cnam (statistiques nationales technologiques AT-MP) ; Allemagne : Geschäfts-und Rechnungsergebnisse der gewerblichen Berufsgenossenschaften und Unfallversicherungsträger der öffentlichen Hand ; Espagne : Ministerio de Empleo y Seguridad social ; Belgique : Agence fédérale des risques professionnels.
Définitions : Dans les quatre pays considérés, un accident du travail est défini comme un évènement de courte durée survenant au cours d’une activité professionnelle et causant un préjudice physique ou psychologique. L’expression "au cours d’une activité professionnelle" signifie durant l’exercice d’une activité professionnelle ou pendant la période passée sur le lieu de travail. Cette définition inclut les accidents survenus au cours d’une mission, mais exclut les accidents de trajet, accidents spécifiques intervenus pendant le trajet entre le domicile et le lieu de travail, ou entre le lieu de travail et un lieu habituel de pause déjeuner.
Les données d’accidents du travail et d’accidents de trajet correspondent à l’exploitation des données d’assurance des risques professionnels publiés par chaque pays, en les rapprochant de la définition de l’accident du travail du régime général français, sur une période allant de 2012 à 2020.
Note de lecture sur les graphiques : La série « Allemagne » connaît un léger changement méthodologique pour le comptage des AT à déclaration non obligatoire. Avant 2019, étaient comptabilisés les cas d’assurance, depuis 2019 les sinistres. Ce changement affecte peu la tendance.
Construction de l’indicateur
France : L’effectif salarié en équivalents temps plein (ETP) correspond à la moyenne du nombre de salariés du secteur privé présents à la date du dernier jour de chaque trimestre de l’année considérée. L’obligation de déclaration par l’employeur vaut pour tous les accidents qu’ils donnent lieu ou non à un arrêt de travail. Deux lectures sont alors présentées : l’une avec les accidents qui ont donné lieu à une prestation en espèces (assimilés aux accidents ayant entraîné au moins un jour d’arrêt) et l’autre avec ceux ayant entraîné au moins quatre jours d’arrêt. En effet, la France comptabilise également ces derniers, selon la méthodologie SEAT (Statistiques Européennes d’Accidents du Travail). Les données portent sur le secteur privé, soit les 9 Comités Techniques Nationaux (CTN) hors bureaux et catégories spéciales. Les données françaises sont issues du rapport de gestion de l’Assurance maladie Risques Professionnels.
Allemagne : La population assurée est exprimée en ETP. Les ETP regroupent l’ensemble des assurés du secteur privé, c’est-à-dire les salariés, les indépendants assurés à titre volontaire et une catégorie d’autres travailleurs (incluant également les bénévoles, les personnes en réhabilitation et les aides-soignants). En Allemagne, la déclaration d’accident à l’assureur n’est pas obligatoire pour les accidents qui entraînent moins de quatre jours d’arrêt. A partir de 2020, les données sur les déclarations d’AT non obligatoires ne sont plus publiées.
Belgique : La population assurée est la population du secteur privé, exprimée en ETP. Les accidents du travail (et de trajet) listés sont ceux du secteur privé ayant entraîné au moins 1 jour d'arrêt. En cas d’accident du travail (et de trajet) avec absence ou non, l’employeur doit en faire la déclaration à son assureur dans les huit jours à compter du lendemain de l’accident.
Espagne : Les accidents du travail et de trajet entraînant au moins 1 jour d’arrêt doivent être déclarés à l’assurance dans un délai maximum de 5 jours après l’événement. Le nombre de personnes assurées du secteur privé correspond à la moyenne annuelle du nombre mensuel d'assurés déclarés à la Sécurité sociale. Il ne s’agit pas d’équivalents temps plein. Les données prennent également en compte les travailleurs indépendants, contrairement à la France et à la Belgique.
Organisme responsable de la production de l’indicateur : Eurogip