Chaque année, une part des accidents de travail ou de trajet et des maladies professionnelles n’est pas déclarée. Les victimes bénéficient alors des prestations de l’assurance maladie dans les conditions de droit commun (cf. indicateur 1-1). Depuis 1997, un versement annuel de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) vers la branche maladie est prévu pour compenser les dépenses liées à des sinistres ou pathologies d’origine professionnelle non déclarés comme tels. Le montant de ce transfert est fixé par la loi de financement de la sécurité sociale, en se fondant sur les travaux d’une commission indépendante, présidée par un magistrat de la Cour des comptes. Il est de 1,0 Md€ par an de 2015 à 2021, soit 8 % des dépenses de la branche AT-MP, et a été porté à 1,1 Md€ en LFSS 2022.

La sous-déclaration est estimée à au moins 1,2Md€ par an

La commission chargée de l’évaluation de la sous-déclaration des AT-MP a notamment pour mission d’évaluer le nombre et le coût des sinistres ou pathologies d’origine professionnelle, mais non déclarés comme tels. Réunissant des représentants des sociétés savantes (société française de médecine du travail, société française du cancer, société de pneumologie de langue française) ainsi que des personnalités qualifiées représentant diverses structures administratives et scientifiques (CNAM, Santé publique France, ANSES), elle s’appuie sur des données épidémiologiques ou d’enquêtes. L’évaluation porte uniquement sur le champ des pathologies dont le caractère professionnel pourrait être reconnu dans le cadre du dispositif juridique actuel. Par conséquent, elle pourrait sous-estimer l’ampleur effective des maladies d’origine professionnelle, qui reste mal connue.
En 2021, comme pour les exercices précédents, la commission retient dans son champ : les cancers professionnels, les troubles musculo-squelettiques (TMS – cf. graphique 1), l’asthme, les broncho-pneumopathies chroniques obstructives (BPCO), les dermatoses, la surdité et les accidents du travail. Si les cancers liés à l’amiante étaient déjà intégrés par les précédentes commissions, le champ est élargi en 2021 aux principales autres pathologies causées par l’amiante : asbestoses et plaques pleurales. Ainsi, 93 % des assurés nouvellement reconnus au titre des maladies professionnelles en 2019 l’ont été au titre d’une pathologie intégrée au champ de la commission de 2021.
L’évaluation n’intègre pas les pathologies psychiques dont le coût est évalué entre 73 M€ et 287 M€. L’origine plurifactorielle de ces pathologies explique qu’à ce stade, la commission ait fait le choix de les exclure du champ formel de la sous-déclaration. 
La dernière commission, qui a rendu son rapport en juin 2021, a proposé une nouvelle estimation, comprise entre 1,2 et 2,1 Md€ (le coût estimé était compris entre 0,8 et 1,5 Md€ en 2017). La hausse est liée pour l’essentiel à la mise à jour des données épidémiologiques, plus nombreuses et plus récentes. Une commission se réunit au premier semestre 2024 et rendra son rapport à l’été.

Causes de la sous-déclaration

Le phénomène de sous-déclaration des AT-MP est plurifactoriel :
- Les professionnels de santé, y compris hospitaliers, n’envisagent pas toujours l’origine professionnelle des pathologies, en particulier lorsqu’elles sont plurifactorielles, comme les cancers, ou à longue période de latence. Dans son rapport, la commission note la formation initiale insuffisante des médecins sur les sujets AT-MP ainsi que le trop faible développement de la formation professionnelle continue. De plus, l’attrition du nombre de médecins du travail, en lien avec la faible attractivité de la discipline au moment de l’internat, explique selon le même rapport les carences de prévention et de détection des maladies professionnelles.
- Les victimes peuvent ne pas effectuer les démarches de reconnaissance par ignorance du caractère professionnel de leur pathologie, par méconnaissance des possibilités de réparation ou de l’intérêt financier associé, en raison de la complexité de la procédure ou de la crainte de ne pas voir la procédure aboutir.
- Enfin, les entreprises peuvent décourager la déclaration des sinistres par les salariés en raison de l’image négative que cela implique pour elles, et de l’augmentation du taux de cotisations patronales qui dépend de leur sinistralité (cf. indicateur 2.1.4). L’ampleur de ces comportements est toutefois difficilement quantifiable.

Graphique 1 ● Cas déclarés et cas sous-déclarés estimés en 2019, exemple des TMS
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Lecture : 12 300 cas de canal carpien sont reconnus en maladie professionnelle en 2019. D’après les estimations de la commission, le nombre total de cas imputables au travail est compris entre 16 400 et 27 900.
Source : rapport de sous-déclaration 20
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Une augmentation continue du transfert à la branche maladie au titre de la sous-déclaration

Initié en 1997, le transfert visant à compenser la sous-déclaration avait été fixé initialement à 140 M€. Les données épidémiologiques de plus en plus complètes ont conduit le législateur à réévaluer ce montant : il est passé de 4 % des dépenses de la branche jusqu’en 2008 à 8 % depuis 2015 (cf. graphique 2).
Fixé à 1,0 Md€ depuis 2015, alors que les dépenses de la branche augmentent, le transfert est porté à 1,1 Md€ en 2022, puis 1,2 Md€ en 2023 et en 2024. Sur le long terme, sa part dans les dépenses de la branche est en augmentation constante (de 3,7 % en 2003 à 8,6 % en 2023).

 

Graphique 2 ● Montant du transfert et part des dépenses de la branche AT-MP
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Source : DSS - comptes de la sécurité sociale
Lecture : en 2023, le montant versé au titre de la sous-déclaration par la branche AT-MP à la branche maladie était de 1 200 M€, soit 8,6 % des charges nettes du régime général de la branche AT-MP.

Principales recommandations de la commission

La commission formule en outre des préconisations visant à améliorer la reconnaissance des accidents du travail et maladies professionnelles. Prenant acte du caractère plurifactoriel de la sous-déclaration des AT-MP, la commission formule des recommandations s’adressant aux acteurs de la santé au travail mais aussi aux employeurs, victimes et caisses de sécurité sociale. Ainsi, elle préconise :
•    un renforcement de la formation, initiale comme continue, des médecins sur les sujets AT-MP, ainsi qu’une meilleure information des médecins sur ces thématiques, notamment grâce au relais des sociétés savantes ;
•    une meilleure sensibilisation des médecins au bénéfice que représente pour les salariés la reconnaissance en maladie professionnelle ; 
•    un renforcement de la formation des infirmiers en santé au travail, notamment sur les sujets AT-MP ;
•    une meilleure communication entre médecins traitants et médecins du travail ;
•    un réexamen des règles d’articulation entre pensions d’invalidité et rentes AT-MP, ainsi qu’une meilleure information des assurés ; 
•    une meilleure information du grand public sur les risques professionnels pour faciliter l’accès aux droits ;
•    une densification du maillage territorial des centres régionaux de pathologies professionnelles et environnementales (CRPPE) et un réexamen de leur articulation avec l’ensemble des établissements de santé et les centres de lutte contre le cancer (CLCC) ; 
•    le financement d’initiatives visant à favoriser la détection des pathologies d’origine professionnelle, sur le modèle de l’initiative Propoumon, qui repose sur un auto-questionnaire de repérage des expositions professionnelles ;
•    une meilleure sensibilisation des professionnels hospitaliers au signalement du caractère professionnel d’un AT-MP, via notamment un renforcement de la formation des assistantes sociales au sein des hôpitaux sur la thématique des risques professionnels ;
•    une actualisation des tableaux de maladies professionnelles, permettant une meilleure reconnaissance des pathologies plurifactorielles et une prise en compte plus rapide des dernières connaissances médicales ;
•    un renforcement des dispositifs de surveillance épidémiologique de Santé publique France ;
•    la mise en place d’un suivi annuel des préconisations de la commission.

Source des données
Les données sont issues du rapport de juin 2021 de la commission de sous-déclaration des accidents du travail et maladies professionnelles.

Construction de l’indicateur
Les dépenses supportées par la branche maladie qui auraient dû être imputées à la branche AT-MP sont estimées à travers la mesure de l’écart entre le nombre de cas théoriquement imputables à l’activité professionnelle et le nombre de cas effectivement reconnus par la branche AT-MP. Le nombre de cas total repose sur des données épidémiologiques mesurant la prévalence d’une pathologie ou d’un sinistre (nombre de personnes atteintes pour une période et une population donnée), ou bien leur incidence (nombre de nouveaux cas d’une pathologie pendant une période donnée dans une population donnée) – comparées au nombre de reconnaissances par la branche AT-MP. Lorsqu’on dispose de la prévalence d’une pathologie, on lui applique un coût moyen annuel transversal. Lorsqu’on dispose de son incidence, on lui applique un coût moyen longitudinal, rapportant le coût des prestations de trois années de sinistres au nombre de sinistres ayant engendré ces coûts. Ces coûts sont transmis par la direction des risques professionnels de la CNAM.
Concernant les cancers, la commission mobilise la cartographie des groupes de pathologies réalisée par la CNAM et présentée chaque année dans son rapport sur les charges et produits. Elles permettent de déterminer un coût moyen qui, une fois multiplié par le nombre de cas d’origine professionnelle estimé, aboutit à un coût global des cancers d’origine professionnelle. Pour obtenir le coût pour l’assurance maladie de la sous-déclaration des cancers, on retranche ensuite le coût effectivement supporté par la branche AT-MP.
La commission se limite à évaluer l’incidence de la sous-déclaration des AT-MP sur la branche maladie, et n’étudie pas les conséquences pour les assurés – qui auraient pu bénéficier d’une prise en charge plus favorable, notamment sous forme de rentes – ou pour les mutuelles – qui auraient dans une moindre mesure, complété les remboursements de l’assurance maladie. Aussi, les rentes perçues au titre des AT-MP ne sont pas prises en compte dans les coûts moyens des pathologies ou sinistres.
 

Pour en savoir plus :

Sous-déclaration branche AT-MP Rapport 2021 - Commission de sous-déclaration ATMP

Organisme responsable de la production de l’indicateur : DSS

  • Intégralité du REPSS - ATMP - Edition 2024 4 MB   Télécharger
  • Synthèse du REPSS - ATMP - Edition 2024 407 KB   Télécharger
  • Données du REPSS - ATMP - Edition 2024 1 MB   Télécharger